Eh bien! l'Europe de 1914 était peut-être arrivée à la limite de ce
modernisme. Chaque cerveau d'un certain rang était un carrefour pour toutes
les races de l'opinion; tout penseur, une exposition universelle de pensées.
II y avait des rouvres de l'esprit dont la richesse en contrastes et en
impulsions contradictoires faisait penser aux effets d'éclairage insensé des
capitales de ce temps-là : les yeux brûlent et s'ennuient... Combien de
matériaux, combien de travaux, de calculs, de siècles spoliés, combien de
vies hétérogènes additionnées a-t-il fallu pour que ce carnaval fût possible
et fût intronisé comme forme de la suprême sagesse et triomphe de
l'humanité?
Dans tel livre de cette époque - et non des plus médiocres - on trouve,
sans aucun effort : - une influence des ballets russes, - un peu du style
sombre de Pascal, - beaucoup d'impressions du type Goncourt, quelque chose
de Nietzsche, - quelque chose de Rimbaud, - certains effets dus à la
fréquentation des peintres, et parfois le ton des publications
scientifiques, - le tout parfumé d'un je ne sais quoi de britannique
difficile à doser !... Observons, en passant, que dans chacun des composants
de cette mixture, on trouverait bien d'autres corps. Inutile de les
rechercher : ce serait répéter ce que je viens de dire sur le modernisme, et
faire toute l'histoire mentale de l'Europe.