Si donc je fais abstraction de tout détail et si je me borne à
l'impression rapide, et à ce total naturel que donne une perception
instantanée, je ne vois - rien! - Rien, quoique ce fût un rien infiniment
riche.
Les physiciens nous enseignent que dans un four porté à l'incandescence,
si notre oeil pouvait subsister, il ne verrait - rien. Aucune inégalité
lumineuse rie demeure et ne distingue les points de l'espace. Cette
formidable énergie enfermée aboutit à l'invisibilité, à !égalité insensible.
Or, une égalité de cette espèce n'est autre chose que le désordre à l'état
parfait.
Et de quoi était fait ce désordre de notre Europe mentale? -- De la libre
coexistence dans tous les esprits cultivés des idées les plus dissemblables,
des principes de vie et de connaissance les plus opposés. C'est là ce qui
caractérise une époque moderne.
Je ne déteste pas de généraliser la notion de moderne et de donner ce nom
à certain mode d'existence, au lieu d'en faire un pur synonyme de
contemporain. Il y a dans l'histoire des moments et des lieux où nous
pourrions nous introduire, nous modernes, sans troubler excessivement
l'harmonie de ces temps-là, et sans y paraître des objets infiniment
curieux, infiniment visibles, des êtres choquants, dissonants,
inassimilables. <)ù notre entrée ferait le moins de sensation, là nous
sommes presque chez nous. Il est clair que la Rome de Trajan et que
l'Alexandrie des Ptolémées nous absorberaient plus facilement que bien des
localités moins reculées dans le temps, mais plus spécialisées dans un seul
type de meurs et entièrement consacrées à une seule race, à une seule
culture et à un seul système de vie.