Mais l'espoir n'est que la méfiance de l'être à l'égard des prévisions
précises de son esprit. Il suggère que toute conclusion défavorable à l'être
doit être une erreur de son esprit. Les faits, pourtant, sont clairs et
impitoyables. 11 y a des milliers de jeunes écrivains et de jeunes artistes
qui sont morts. Il y a l'illusion perdue d'une culture européenne et la
démonstration de l'impuissance de la connaissance à sauver quoi que ce soit;
il y a la science, atteinte mortellement dans ses ambitions morales, et
comme déshonorée par la cruauté de ses applications; il y a l'idéalisme,
difficilement vainqueur, profondément meurtri, responsable de ses rêves; le
réalisme déçu, battu, accablé de crimes et de fautes; la convoitise et le
renoncement également bafoués ; les croyances confondues dans les camps,
croix contre croix, croissant contre croissant; il y a les sceptiques
eux-mêmes désarçonnés par des événements si soudains, si violents, si
émouvants, et qui jouent avec nos pensées comme le chat avec la souris, les
sceptiques perdent leurs cloutes, les retrouvent, les reperdent, et ne
savent plus se servir des mouvements de leur esprit.
L'oscillation du navire a été si forte que les lampes les mieux
suspendues se sont à la fin renversées.
Ce qui donne à la crise de l'esprit sa profondeur et sa gravité, c'est
l'état dans lequel elle a trouvé le patient.
Je n'ai ni le temps ni la puissance de définir l'état intellectuel de
l'Europe en 1914. Et qui oserait tracer un tableau de cet état? - L e sujet
est immense; il demande des connaissances de tous les ordres, une
information infinie. Lorsqu'il s'agit, d'ailleurs, d'un ensemble aussi
complexe, la difficulté de reconstituer le passé, même le plus récent, est
toute comparable à la difficulté de construire l'avenir, même le plus
proche; ou plutôt, c'est la même difficulté. Le prophète est dans le même
sac que l'historien. Laissons-les-y.
Mais je n'ai besoin maintenant que du souvenir vague et général de ce qui
se pensait à la veille de la guerre, des recherches qui se poursuivaient,
des couvres qui se publiaient