Je vous rappelle seulement quelques-uns des caractères de son action et
d'abord il apporte une morale subjective, et surtout il impose l'unification
de la morale. Cette nouvelle unité se juxtapose à l'unité juridique que le
droit romain avait apportée; l'analyse, des deux côtés, tente à unifier les
prescriptions.
Allons plus avant.
La nouvelle religion exige l'examen de soi-même. On peut dire qu'elle
fait connaître aux hommes de l'Occident cette vie intérieure que les Indous
pratiquent à leur manière depuis des siècles déjà; que les mystiques
d'Alexandrie avaient aussi, à leur manière, reconnue, ressentie et
approfondie.
Le christianisme propose à l'esprit les problèmes les plus subtils, les
plus importants et même les plus féconds. Qu'il s'agisse de la valeur des
témoignages; de la critique des textes, des sources et des garanties de la
connaissance; qu'il s'agisse de la distinction de la raison ou de la foi, de
l'opposition qui se déclare entre elles, de l'antagonisme entre la foi et
les actes et les couvres; qu'il s'agisse de la liberté, de la servitude, de
la grâce; qu'il s'agisse des pouvoirs spirituel et matériel et de leur
mutuel conflit, de l'égalité des hommes, des conditions des femmes, - que
sais-je encore? - le christianisme éduque, excite, fait agir et réagir des
millions d'esprits pendant une suite de siècles.
Toutefois nous ne sommes pas encore des Européens accomplis. Il manque
quelque chose à notre figure; il y manque cette merveilleuse modification à
laquelle nous devons non point le sentiment de l'ordre public et le culte de
la cité et de la justice temporelle; et non point la profondeur de nos âmes,
l'idéalité absolue et le sens d'une éternelle justice:; mais il nous manque
cette action subtile et puissante à quoi nous devons le meilleur de notre
intelligence, la finesse, la solidité de notre savoir, -comme nous lui
devons la netteté, la pureté et la distinction de nos arts et de notre
littérature; c'est de la Grèce que nous vinrent ces vertus.