L'autre est en proie à une inquiétude et à la recherche perpétuelles. Les
échanges s'y multiplient, les problèmes les plus variés s'agitent dans son
sein, les moyens de vivre, de savoir, de pouvoir s'accroître, s'y accumulent
de siècle en siècle avec une rapidité extraordinaire. Bientôt la différence
de savoir positif et de puissance, entre elle et le recule du monde, devient
si grande qu'elle entraîne une rupture de l'équilibre. L'Europe se précipite
hors d'elle-même; elle part à la conquête des terres. La civilisation
renouvelle les invasions primitives dont elle inverse le mouvement.
L'Europe, sur son propre sol, atteint le maximum de la vie, de la fécondité
intellectuelle, de la richesse et de l'ambition.
Cette Europe triomphante qui est née de l'échange de toutes choses
spirituelles et matérielles, de la coopération volontaire et involontaire
des races, de la concurrence des religions, des systèmes, des intérêts, sur
un territoire très limité, m'apparaît aussi animée qu'un marché où toutes
choses bonnes et précieuses sont apportées, comparées, discutées, et
changent de mains. C eh une Bourse où les doctrines, les idées, les
découvertes, les dogmes les plus divers, sont mobilisés, sont cotés,
montent, descendent, sont l'objet des critiques les plus impitoyables et des
engouements les plus aveugles. Bientôt les apports les plus lointains
arrivent abondamment sur ce marché.
D'une part, les terres nouvelles de l'Amérique, de l'Océanie et de
l'Afrique, les antiques empires de l'Extreme-Orient envoient l'Europe leurs
matières premières pour les soumettre à ces transformations étonnantes
qu'elle seule sait accomplir. D'autre part, les connaissances, les
philosophies, les religions de l'ancienne Asie viennent alimenter les
esprits toujours en éveil, que l'Europe produit à chaque génération; et
cette machine puissante transforme les conceptions plus ou moins étranges de
l'Orient, en éprouve la profondeur, en retire les éléments utilisables.