Les autres êtres vivants ne sont mus et transformés que par les
variations extérieures. lis s'adaptent, c'est-à-dire qu'ils se déforment,
afin de conserver les caractères essentiels de leur existence et ils se
mettent ainsi en équilibre avec l'état de leur milieu.
Ils n'ont point coutume, que je sache, de rompre spontanément cet
équilibre, de quitter, par exemple, sans motif, sans une pression ou ,une
nécessité extérieures, le climat auquel ils sont accommodés. Ils recherchent
leur bien aveuglément; mais ils ne sentent pas l'aiguillon de ce mieux qui
est l'ennemi du bien et qui nous engage à affronter le pire.
Mais l'homme contient en soi-même de quoi rompre l'équilibre qu'il
soutenait avec son milieu. Il contient ce qu'il faut pour se mécontenter de
ce qui le contentait.
Il est à chaque instant autre chose que ce qu'il est. Il ne forme pas un
système fermé de besoins et de satisfactions de ses besoins. Il tire de la
satisfaction je ne sais quel excès de puissance qui renverse son
contentement. À peine son corps et son appétit sont apaisés, qu'au plus
profond de lui quelque chose s'agite, le tourmente, l'illumine, le commande,
l'aiguillonne, le manœuvre secrètement. Et c'est l'Esprit, l'Esprit armé de
toutes ces questions inépuisables...
Il demande éternellement en nous : Qui, quoi, où, en quel temps,
pourquoi, comment, par quel moyen? Il oppose le passé au présent, l'avenir
au passé, le possible au réel, l'image au fait. Il est à la fois ce qui
devance et ce qui retarde; ce qui construit et ce qui détruit; ce qui est
hasard et ce qui calcule; il est donc bien ce qui n'est pas, et l'instrument
de ce qui n'est pas. Il est enfin, il est surtout, l'auteur mystérieux de
ces rêves dont je vous parlais...
Quels rêves a faits l'homme?... Et parmi ces rêves quels sont ceux qui
sont entrés dans le réel, et comment y sont-ils entrés?