Nous sommes une génération très infortunée à laquelle est échu de voir
coïncider le moment de son passage dans la vie avec l'arrivée de ces rands
et effrayants événements dont la résonance empira toute notre vie.
On peut dire que toutes les choses essentielles de ce monde ont été
affectées par la guerre, ou plus exactement, par les circonstances de la
guerre : L'usure a dévoré quelque chose de plus profond que les parties
renouvelables de l'être. Vous savez quel trouble est celui de l'économie
générale, celui de la politique des États, celui de la vie même des
individus : la gêne, l'hésitation; l'appréhension universelles. Mais parmi
toutes ces choses blessées est l'Esprit. L'Esprit est en vérité cruellement
atteint; il se plaint dans le cœur des hommes de l'esprit et se juge
tristement. Il doute profondément de soi-même.
Qu'est-ce donc que cet esprit? En quoi peut-il être touché, frappé,
diminué, humilié par l'état actuel du monde? D'où vient cette grande pitié
des choses de l'Esprit, cette détresse, cette angoisse des hommes de
l'Esprit? C'est de quoi il faut que nous parlions maintenant.
L'homme est cet animal séparé, ce bizarre être vivant qui s'est opposé à
tous les autres, qui s'élève sur tous les autres, par ses ... songes, - par
l'intensité, l'enchaînement, par la diversité de ses songes! par leurs
effets extraordinaires et qui vont jusqu'à modifier sa nature, et non
seulement sa nature, niais encore la nature même qui l'entoure, qu'il essaye
infatigablement de soumettre à ses songes.
Je veux dire que l'homme est incessamment et nécessairement opposé à ce
qui est par le souci de ce qui n'est pas! et qu'il enfante laborieusement,
ou bien par génie, ce qu'il faut donner à ses rêves la puissance et la
précision même de la réalité, et, d'autre part, pour imposer à cette réalité
des altérations croissantes qui la rapprochent de ses rêves.