- Mais l'Esprit européen - ou du moins ce qu'il contient de plus précieux
- est-il totalement diffusible?
Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de
l'égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir
une deminutio capitis de l'Europe, doivent-ils être pris comme décisions
absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté contre cette menaçante
conjuration des choses?
C'est peut-être en cherchant cette liberté qu'on la crée. Mais pour une
telle recherche, il faut abandonner pour un temps la considération des
ensembles, et étudier dans l'individu pensant, la lutte de la vie
personnelle avec la vie sociale.
NOTE (ou L'EUROPÉEN)
L'ORAGE vient de finir, et cependant nous sommes inquiets, anxieux, comme
si l'orage allait éclater. Presque toutes les choses humaines demeurent dans
une terrible incertitude. Nous considérons ce qui a disparu, nous sommes
presque détruits par cc qui est détruit; nous ne savons pas ce qui va
naître, et nous pouvons raisonnablement le craindre. Nous espérons
vaguement, nous redoutons précisément; nos craintes sont infiniment plus
précises que nos espérances; nous confessons que la douceur de vivre est
derrière nous, que l'abondance est derrière nous, mais le désarroi et le
doute sont en nous et avec nous. Il n'y a pas de tête pensante si sagace, si
instruite qu'on la suppose, qui puisse se flatter de dominer ce malaise,
d'échapper à cette impression de ténèbres, de mesurer la durée probable de
cette période de troubles dans les échanges vitaux de l'humanité.