Dans une société régulièrement organisée, tout doit être en croissance
continue, science, industrie, travail richesse, santé publique ; la liberté
et la moralité doivent aller du même pas. Là, le mouvement, la vie, ne
s'arrêtent pas un instant. Organe principal de ce mouvement, l'État est
toujours en action, car il a sans cesse de nouveaux besoins à satisfaire, de
nouvelles questions à résoudre. Si sa fonction de premier moteur et de haut
directeur est incessante, ses oeuvres, en revanche, ne se répètent pas. Il
est la plus haute expression du progrès. Or, qu'arrive-t-il lorsque, comme
nous le voyons presque partout, comme on l'a vu presque toujours, il
s'attarde dans les services qu'il a lui-même créés et cède à la tentation de
l'accaparement ? De fondateur il se fait manoeuvre ; il n'est plus le génie
de la collectivité, qui la féconde, la dirige et l'enrichit, sans lui
imposer aucune gêne : c'est une vaste compagnie anonyme, aux six cent mille
employés et aux six cent mille soldats, organisée pour tout faire, et qui,
au lieu de venir en aide à la nation, au lieu de servir les citoyens et les
communes, les dépossède et les pressure. Bientôt la corruption, la
malversation, le relâchement entrent dans ce système ; tout occupé de se
soutenir, d'augmenter ses prérogatives, de multiplier ses services et de
grossir son budget, le Pouvoir perd de vue son véritable rôle, tombe dans
l'autocratie et l'immobilisme ; le corps social souffre, et la nation, à
rebours de sa loi historique, commence à déchoir./p>
N'avons-nous pas fait remarquer, Chap. VI, que dans l'évolution des
Etats, l'Autorité et la Liberté sont en succession logique et
chronologique ; que, de plus, la première est en décroissance continue, la
seconde en ascension ; que le Gouvernement, expression de l'Autorité, est
insensiblement subalternisé par les représentants ou organes de la Liberté,
savoir : le Pouvoir central par les députés des départements ou provinces;
l'autorité provinciale par les délégués des communes, et l'autorité
municipale par les habitants ; qu'ainsi la liberté aspire à se rendre
prépondérante, l'autorité à devenir servante de la liberté, et le principe
contractuel à se substituer partout, dans les affaires publiques, au
principe autoritaire ?