Messieurs, cette pensée religieuse, la paix universelle, toutes les
nations liées entre elles d'un lien commun, l'évangile pour loi suprême, la
médiation substituée à la guerre, cette pensée religieuse est-elle une
pensée pratique? cette idée sainte est-elle une idée réalisable? Beaucoup
d'esprits positifs, comme on parle aujourd'hui, beaucoup d'hommes politiques
vieillis, comme on dit, dans le maniement des affaires répondent : Non. Moi,
je réponds avec vous, je réponds sans hésiter, je réponds: Oui! (applaudissements)
et je vais essayer de le prouver tout à l'heure.
Je vais plus loin; je ne dis pas seulement : C'est un but réalisable, je
dis: C'est un but inévitable; on peut en retarder ou en hâter l'avènement,
voilà tout.
La loi du monde n'est pas et ne peut pas être distincte de la loi de
Dieu. Or, la loi de Dieu, ce n'est pas la guerre, c'est la paix. (Applaudissements.)
Les hommes ont commencé par la lutte, comme la création par le chaos. (Bravo!
bravo!) D'où viennent-ils? De la guerre, cela est évident. Mais où
vont-ils? A la paix; cela n'est pas moins évident.
Quand vous affirmez ces hautes vérités, il est tout simple que votre
affirmation rencontre la négation; il est tout simple que votre foi
rencontre l'incrédulité; il est tout simple que, dans cette heure de nos
troubles et de nos déchirements, l'idée de la paix universelle surprenne et
choque presque comme l'apparition de l'impossible et de l'idéal; il est tout
simple que l'on crie à l'utopie; et, quant à moi, humble et obscur ouvrier
dans cette grande œuvre du dix-neuvième siècle, j'accepte cette résistance
des esprits sans qu'elle m'étonne ni me décourage. Est-il possible que vous
ne fassiez pas détourner les têtes et fermer les yeux dans une sorte
d'éblouissement, quand, au milieu des ténèbres qui pèsent encore sur nous,
vous ouvrez brusquement la porte rayonnante de l'avenir? (Applaudissements.)